5 Questions à Virginie Loisel, directrice artistique

par Lamiaâ Sajid-Soliman, chargée de suivi des stages, de l’insertion professionnelle, de l’éducation artistique et culturelle (EAC) à l’ÉCole Nationale supérieure d’arts de Cergy-Pontoise.

  • Tu mènes tes actions d’éducation artistique à Garges-lès-Gonesse mais aussi à Paris dans le 20ème arrondissement ou encore ailleurs en Ile-de-France de manière occasionnelle et temporaire. Quel est concrètement l’impact de tes actions artistiques et culturelles  sur les habitants, en particulier sur les jeunes ? As-tu des retours des établissements scolaires ? des centres sociaux ?

Les actions que nous portons sont de différentes nature nous mettons en œuvre des actions en milieu scolaire, des projets dans le contexte de friches artistiques éphémères et aussi nous assurons depuis 2018 une présence régulière dans un local en bas d’immeuble, à Garges-les-Gonesse, dans un quartier populaire dit « sensible » en lien avec des partenaires locaux.

– Actions artistiques en milieu scolaire (collèges, écoles, lycées …) 

Ces actions artistiques au long terme sont mises en place avec une équipe de professeurs du collège ou d’une école primaire (élémentaire et/ou maternelle). Il peut s’agir de projets initiés par Double Face mais aussi proposés par l’institution ou encore conçus ensemble avec une simple envie de mettre des compétences en commun. Ces actions durent dans le temps, généralement deux ans, préparation comprise et sont le fruit d’une étroite collaboration entre l’association et le corps enseignant, elle se termine avec un évènement public qui dure entre 1 et 3 jours. L’investissement est partagé et fait appel à des compétences transversales. Le rôle de Double Face est d’orchestrer le processus artistique en développement notamment l’écoute du besoin des professeurs et leurs élèves investis, en y associant une pratique artistique et/ou un artiste. 

Les retours que nous avons sont beaucoup d’implication des élèves, une transversalité très développée permettant des expériences inédites entre les enseignants, des rencontre avec les artistes et les techniciens du spectacle très appréciée. L’épanouissement des élèves en particulier ceux avec des profils a-scolaires est flagrant. aussi les relations avec les familles  se trouvent accrues et plus intenses. Enfin tout ceci construit une cohésion sociale et un esprit de partage.

>Exemples de projets (cliquer) : L’arbre qui cache la forêt (École-Garges- 2011), Des flâneurs (Collège-Garges-2014), Ville imaginaire (multi-partenaires-Paris 20- 2016), Souvenir de mon école (ecole et Maison de retraite-Paris 12- 2018).

– Friches artistiques

Ces actions s’inscrivent aussi dans les quartiers populaires, quartiers politique de la ville (QPV) et sont liées à des problématiques de transformation urbaine : un quartier va être rénové, un ou plusieurs bâtiments seront détruits. Ces projets sont souvent des commandes d’institutions (Ville, Établissement public d’aménagement) qui souhaitent qu’une association puisse coordonner des projets d’artistes avec des ateliers d’éducation artistique, c’est-à-dire de faire travailler ensemble artistes, amateurs, jeunes, adolescents et enfants. Double face propose aux habitants, toutes générations confondues, qu’ils soient issus d’une structure locale ou non, de s’exprimer sur une perception de son lieu de vie, d’évoquer les traces du passé, du présent ou de se projeter vers le futur. Une scénographie est proposée et différents groupes de travail construisent leurs projets. À l’issu des ces préparatifs, un événement artistique est proposé au public.

Les retours que nous avons soulignent l’expérience collaborative et transversale, des rencontre inédites entre des structures qui ne se connaissent pas, une certaine émulation et créativité, des rencontres et stimulations avec le public, des échanges intergénérationnels, mixité sociale. Le collectif  de la friche est sensible à l’hommage et la mémoire que nous mettons en scène et enfin est réceptif à la qualité artistique du projet impliquant une grande valorisation des habitants et de leur histoire.

Exemples de projets (cliquer) : Mondes d’apparts (Garges-2010)/ Métamorphoses (sarcelles-2013) / Le Voyage de Gagarine (Ivry-sur-Seine-2019), Traversées (Choisy-le-Roi, 2022)

– Actions régulières dans un quartier dit prioritaire en lien avec des partenaires

Notre association bénéficie de différents lieux pour accueillir nos publics, à Paris et à Garges-les-Gonesse: Le plus grand local nous a été attribué en 2017 par le bailleur Immobilière 3F à Garges-lès-Gonesse dans le quartier de Dame Blanche Nord. Notre public a été repéré naturellement, car ces enfants et adolescents sont dans la rue en bande par groupe de dix, vingt et sont souvent livrés à eux-même. D’autres enfants issus de l’école et du collège d’en face et résident plus loin dans le quartier ont rejoint l’atelier informés au sein de l’école. Les professeurs et responsables périscolaires nous connaissent et souhaitent établir des liens de collaborations éducatives. Nous sommes en partenariat avec les associations locales du quartier, nous construisons en particulier des liens proches avec les éducateurs de rue.

À Paris , dans un quartier du 20 ème, nous avons établi des partenariats avec une bibliothèque, une école, des associations qui accueillent des jeunes du quartier, des éducateurs. Ces partenariats nous permettent de tisser des liens par les enfants et adolescents avec les familles du quartier. De bouche à oreille, d’autres enfants et adolescents nous rejoignent, intéressés par la pratique des arts plastiques et /ou de la réalisation audiovisuelle. Dans le 12 eme, le bailleur Paris-Habitat a mis à notre disposition un local ainsi qu’un budget pour proposer régulièrement des ateliers arts-plastiques aux jeunes résident d’un ilot en logement social.

Nous constatons une certaine prise de confiance en soi,  d’autonomie le développement de son sens critique et son ouverture d’esprit et sa tolérance, la maitrise des techniques nouvelles de la part de nos “élèves”.

>Exemples de projets : Davout à Nous (Paris 2015-2023), chroniques d’un quartier en reconstruction, Les Ateliers Van Gogh (Garges-2018-2023)

  • Penses-tu que l’art contemporain puisse constituer une entrée idéale dans le champ artistique pour des adolescents ? Pourquoi ?

L’idée est de préparer, rendre fertile et attrayant ce champ. Ce qui est important à mes yeux, c’est que les jeunes gens puissent être captés et stimulés par une proposition artistique qu’on leur fait découvrir, ensuite on souhaite qu’ils se l’approprient. Une œuvre, une recherche d’artiste devient un déclencheur qui interroge une forme et un propos, faisant écho à leurs préoccupations les plus intimes. La contemporanéité des œuvres est un critère important dans leur perception car elle leur parle de leur époque, de ses objets et de ses outils, questionne leur rapport au monde du passé, d’aujourd’hui et de demain. Ils peuvent pénétrer dans le langage artistique de manière instantanée et stimulante

  • Quel type de médiation vers l’art privilégies-tu ? (atelier de pratique, visites centre d’arts, musées, rencontre artiste…)

Je pense qu’il est nécessaire d’explorer plusieurs voies. Les ateliers de pratiques artistiques réguliers sont une base, les adolescents prennent l’habitude de dessiner, de découvrir des techniques, de composer avec des éléments hétéroclites, d’explorer différents supports. Les progrès et la prise de confiance sont saisissants. Sur ces temps d’ateliers, accueillir un artiste sur une ou plusieurs séances, leur permet de poser des questions sur son travail, sa technique, sa vision mais aussi sur son métier d’ artiste qui est souvent mystérieux voire inaccessible. Enfin, les visites dans des lieux culturels et artistiques sont très importantes car ils ne les connaissent pas, cela leur permet d’observer un microcosme éloigné de leur environnement. Souvent situés à Paris où ils vont peu ou pas, ces lieux culturels de forte valeur patrimoniale, (souvent) d ‘allure privilégiée mais néanmoins accessibles, leurs ouvrent de nouveaux horizons. Ces sorties sont à chaque fois l’expérience d’un lieu, d’une œuvre et de la présence d’un médiateur.

  • Penses-tu que l’art contemporain puisse faciliter l’accès à des œuvres classiques ? Pourquoi ?

Dans la mesure où l’oeuvre contemporaine observée prend sa source dans l’histoire de l’art, c’est l’occasion de retracer le chemin de l’oeuvre et dévoiler les oeuvres classiques de référence. Passer par une sensibilité contemporaine qui touche les adolescents et la relier aux œuvres du passé est un processus pertinent pour exacerber la curiosité et la connaissance historique.

  • Penses-tu que l’art puisse constituer un facteur d’insertion sociale ? Pourquoi ?

C’est d’abord une expérience de liberté d’expression. Les adolescents sont à un âge ou parfois, on a peur de sa singularité et on cherche plutôt à ressembler aux autres, adopter un style qui appartient à un groupe reconnaissable. Déjà à ce stade, l’exploration artistique favorise la création individuelle et l’affirmation de soi, elle permet d’interroger le monde d’où l’on vient et d’y puiser quelque chose. La pratique artistique est aussi le moyen de découvrir et encourager des talents, les potentialités et l’inventivité. Enfin cette pratique associée avec la connaissance d’artistes et de lieux culturels permet de développer sa curiosité, s’ouvrir aux autres, de s’interroger sur l’organisation de la société et d’envisager des expériences de partages inédits.S’exprimer, partager des expériences, observer, démystifier et décrypter le monde autour de soi permet de développer de l’ assurance, de la confiance, de la curiosité et du désir qui sont des facteurs de réussite certains.